À peine fait prisonnier, Saïf al-Islam Kadhafi est un justiciable très convoité. Le fils du défunt Guide libyen, et dernier pilier de son régime encore en cavale, a été arrêté par d’anciens rebelles dans la région d’Oubari, une oasis du sud-ouest de la Libye. La nouvelle a été annoncée hier matin par le ministre de la Justice du Conseil national de transition (CNT), mais le moment exact de la capture n’a pas été précisé. Aussitôt, la Cour pénale internationale (CPI), qui recherchait Seif al-Islam pour crimes contre l’humanité en vertu d’un mandat d’arrêt émis le 27 juin, a réclamé que le captif lui soit remis : même si les autorités libyennes "estiment qu’un procès au niveau national est une meilleure solution", a indiqué un porte-parole, elles ont d’abord "l’obligation de coopérer avec la Cour".
Pour montrer combien il tenait à ce que Saïf al-Islam ne lui soit pas soustrait, le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, a fait savoir qu’il se rendrait rapidement en Libye. Avant l’arrestation, le fuyard, via son entourage, était en contact avec lui pour négocier une reddition sous conditions. À l’unisson, les capitales occidentales et des ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ont réclamé "un procès équitable" sous l’égide de la CPI. En toile de fond, une ombre : celle de Mouammar Kadhafi, lynché et exécuté sommairement le 20 octobre, avec son autre fils Muatassim, après avoir été stoppé dans sa fuite près de Syrte. Un dénouement qui a terni l’image de la révolution libyenne.
Le trophée des combattants de Zenten
En réponse à ce concert d’appels, le Premier ministre libyen par intérim, Abdel Rahim Al-Kib, a promis un procès "durant lequel les droits et la loi internationale seront garantis". "Nous allons montrer à Saïf al-Islam qui nous sommes : nous ne sommes pas des bandes armées, nous avons soif de liberté", a-t-il ajouté. Ces propos suggèrent qu’il penche pour un jugement en Libye même. C’est également, sans aucun doute, la préférence de la rue libyenne.
Pour compliquer le jeu, la CPI et le CNT ne sont pas seuls à se disputer Saïf al-Islam Kadhafi. Celui qui fut le fils le plus influent du Guide libyen, et son dauphin présomptif, a été arrêté par des thuwars (combattants) venus de Zenten, l’un des bastions de l’ex-rébellion, dans le djebel Nefoussa. C’est dans cette ville, à 160 km au sud-ouest de Tripoli, qu’il a été transféré hier après-midi. Et il est fort probable que les responsables locaux voudront tirer avantage de leur prise.
Le moment s’y prête : Abdel Rahim Al-Kib doit annoncer au plus tard mercredi, soit un mois après la proclamation officielle de la libération de la Libye, la composition du gouvernement chargé de conduire la transition. S’il a dit souhaiter un cabinet de technocrates, le Premier ministre est soumis à d’intenses pressions des différentes factions qui réclament leur part du pouvoir. Les thuwars de Zenten sont engagés, comme d’autres, dans cette course aux postes-clés. Jeudi soir, l’un de leurs principaux chefs, Abdallah Naker, a réuni les commandants de plusieurs régions pour faire savoir tout le mal qu’il pensait de la nomination le matin même comme chef d’état-major d’un officier venu de Benghazi (est). Tant qu’ils conservent leur prisonnier, les combattants de Zenten disposent d’un argument de poids pour réclamer quelques compensations. Et obtenir des places de choix dans le gouvernement intérimaire.