Pour les besoins de l'agenda politique, les voiles ont été mises au sujet de l'examen des recours introduits par la défense, tout comme hier, il fallait mettre les dossiers au placard et laisser les Chambres africaines extraordinaires (CAE) dérouler leur procédure illégale et inconstitutionnelle. C'est donc bien, la politique qui instruit le cours des affaires et le sens des décisions.
La journée du 12 mars a été bien particulière pour les Avocats du Président Habré. En effet, trois recours ont été prévus pour être traités à cette date. D'abord, l'examen du recours pour excès de pouvoir relatif au décret portant nomination des magistrats des CAE, suite à la décision du Conseil Constitutionnel.
Examen? C'est trop dire, car la Chambre administrative a annoncé qu'elle rendrait sa décision, aujourd'hui même et dans une heure!! Diable! Autant dire que la décision était déjà prise et qu'il ne lui restait plus qu'à la communiquer.
Faut-il s'étonner d'un rejet du recours de la part d'une juridiction politisée qui, après avoir bloqué le recours du Président Habré pendant 18 mois, audience, aujourd’hui, son examen à la hussarde, quelques jours à peine, après la décision du Conseil constitutionnel. Et comble de l’ironie, la Chambre administrative comptait même, parmi ses juges, M Ahmadou BAL, ancien directeur de cabinet de Mme Aminata Touré, ex ministre de la justice. C'est ce même fonctionnaire qui, en son temps, avait défendu la présentation de l'accord portant création des CAE devant l'Assemblée Nationale. Autant dire un des orfèvres de cet accord illégal, positionné en juge au sein de la chambre administrative pour décider si son "œuvre" est légale ou non. Hallucinant !
L'exigence d'objectivité et d'impartialité mais aussi la nécessité de l'inexistence d'un conflit d'intérêt sont les attributs qui font le juge et qui confèrent à un processus judiciaire une crédibilité. Mais, dans l'affaire Habré, affaire françafricaine par excellence, c'est la loi du plus fort qui s'applique. C'est la volonté politique qui s'impose en lieu et place de la loi.
Seconde affaire en ce 12 mars, journée de la liquidation des recours de la défense du Président Habré. Il s'agit de l'affaire SidikiKaba, autrement dit, la plainte pour injures publiques. On se rappelle que le juge, après avoir bloqué plus d'un an la plainte, a finalement décidé que les propos "bourreau du peuple tchadien" ne pouvaient pas être considérés comme outrageants. Un appel a été introduit, et, ce jour, le Ministre de la justice a changé son fusil d'épaule. Désormais, il plaide qu'il est passible de la Haute Cour de justice.
Finalement, à considérer ce qui se passe en l'espèce, un ministre peut insulter qui il veut et même tuer quelqu'un et dire qu'il ne peut être jugé que par la Haute Cour de justice qui, pour se réunir a besoin du vote d'une résolution à l'Assemblée Nationale ! Laquelle résolution peut ne pas être votée par les députés si le ministre appartient au camp de la majorité. On imagine aisément le scandale. C'est pourquoi la loi dit, clairement, que le Ministre n'est passible de la Haute Cour de justice que pour les actes accomplis dans l'exercice normal de ses activités professionnelles et qui ont un rapport direct avec sa fonction. Pourtant, il va de soi qu'injurier publiquement des personnes, voler, ou tuer quelqu'un, ne peut être considéré comme une activité normale d'un ministre. C'est ainsi que le ministrefrançais Hortefeux qui avait lancé des propos racistes, a été condamné par la justice française, tout ministre qu'il fut.
A vrai dire, des ordres politiques ont été clairement donnés pour le lancement de ce train fou dans le but de se débarrasser de tous les recours introduits par les avocats du Président Habré et ce, au mépris du Droit et de la Justice.
La troisième affaire concerne le faux de Mme Aminata Touré. L'arrêt du Conseil Constitutionnel a fragilisé sa position. Mais il est certain qu'elle sera sauvée par le gong de la politique et des instructions données en conséquence de cause dans cette troublante affaire Habré. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il est important, pour le pouvoir de blanchir et d'organiser une totale impunité pour tous ceux ou celles qui, obéissant à ses instructions, ont eu les mains sales dans l'affaire Habré.
La loi exige de Mme Touré d'être présente, pour que son avocat puisse avoir droit à la parole. Lors des deux précédentes audiences, elle ne s'est pas présentée, et, l'affaire fut renvoyée à date ultérieure.
L'avocat de Mme Touré qui, selon la loi, ne pouvait avoir droit à la parole, a quand même, été autorisé par le Tribunal à dire que sa cliente était aussi passible de la Haute Cour de justice en tant que Ministre. Et pour la représenter, il n’a pas hésité à produire une lettre attribuée à Mme Touré adressée à la juridiction mais qu’il avait signé lui-même !! Après SidikiKaba, la même chansonnette nous est jouée. Et quid, de la déclaration officielle de l'ancien Ministre des Affaires Etrangères, Alioune Badara Cissé selon laquelle, il n'a pas signé l'Accord de pleins pouvoirs brandi par Mme Touré?
Madame Touré campe dans cette position d’impunité qu’elle a interdit à d’autres, en d’autres occasions.
Mépris de la Justice de la part d’une Ministre dont la fonction avait été d’en assurer le service. Il faut dire qu’elle avait clairement affirmé dans cette affaire de faux qu’elle avait agi sur instructions du Président de la République !! N’était-ce pas la meilleure des défenses devant des magistrats nommés par le Président ?
Ainsi donc, l'opinion nationale et internationale a été tenue en haleine depuis plus de 19 mois, sur la question cruciale, de la Constitutionnalité des CAE, mais aussi, au sujet du Faux de Mme Aminata Touré et enfin, des insultes du Ministre de la Justice.
Sur tous ces points, la justice sénégalaise a été mise à l'épreuve et elle a opté pour un véritable déni de justice : ce qui était important pour elle, c'était la neutralisation totale de tous les recours engagés par la défense et non pas, de se prononcer sur la constitutionalité des CAE, sur le faux et les injures pour édifier l'opinion. L'enjeu était de taille car il était important non pas de faire triompher le Droit, la Justice mais plutôt que toutes les petites mains qui collaborent à l'opération de liquidation du Président Habré soient protégées, récompensées pour que le complot arrive à terme.
L'Histoire retiendra leurs actes, leurs noms, leur sinistre partition dans cette affaire Habré qui ne se terminera certainement pas avec le prononcé d'une condamnation achetée à coups de pétrodollars et qui a déjà, largement ruiné la réputation d'un Sénégal, État de droit.
Les Avocats.
Fait à Dakar, le 13 mars 2015